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Francis Lalèyè à propos de la gouvernance politique : «On a l’impression que les choses profitent à un petit groupe»

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Francis-Laleye

Francis Lalèyè, spécialiste des questions de gouvernance politique et des questions électorales, n’est pas du tout satisfait des 12 premiers mois du gouvernement de la Rupture. A l’en croire,  « sur certains points, on est parti d’une situation qui n’était point enviable à une situation qui est pire.» Il s’est confié à votre journal. Lire l’entretien.

Matin Libre : Le Chef de l’Etat a promis de réaliser de grandes réformes pour pouvoir accéder au pouvoir. Mais un an après sa prise de pouvoir, on constate qu’il est visiblement incompris. Qu’est ce qui peut justifier une telle attitude de la part des populations?

Francis Lalèyè : Je ne crois pas que le mot incompris que vous avez employé soit le plus indiqué. Je pense qu’il y a un problème quant à considérer que le fait que vous soyez élu signifie que vous avez toute l’adhésion de la population par rapport à vos promesses. Sur la question de la révision de la Constitution, j’ai entendu certains promoteurs dire que le débat n’était pas nécessaire parce que le président avait fait ce débat pendant la campagne électorale. C’est faux. Quand les gens vous élisent, ce n’est pas un chèque en blanc que les gens vous délivrent. C’est vrai qu’ils vous élisent pour quelque chose. Mais ils peuvent ne pas être d’accord avec toutes vos propositions et se dire que le moment venu, ils auront le moyen de vous faire comprendre leurs véritables attentes. Le deuxième élément fondamental, il y a un problème sur la méthode. La méthode pose des problèmes au niveau de la transparence, la participation des citoyens. Quand vous allez au fond des dossiers, on n’a pas l’impression que ces dossiers ont aussi été bien préparés comme on nous l’a fait croire. En écoutant un certain nombre d’acteurs pendant la campagne électorale, on a l’impression que les dossiers étaient bien préparés. Mais à l’œuvre, on se rend compte qu’en réalité, les dossiers  contenaient des insuffisances. Et le deuxième problème dans le fond, c’est que bien souvent vous êtes amenés à vous demander si réellement c’est l’intérêt général qui est privilégié dans un certain nombre de décisions. On a souvent l’impression que ce sont des choses bien habillées qui profitent au fond à un petit groupe. Et c’est mortel. Ça décrédibilise ce que vous faîtes. Les gens ne sont pas contre le fait de faire des sacrifices. Les Béninois montrent encore qu’ils ne rechignent pas à faire des sacrifices. Mais lorsque vous demandez aux gens de faire de sacrifice, donnez le bon exemple.Troisième élément, c’est le social. Je crois que c’est le talon d’Achille du gouvernement. Quand on compare la situation d’il y a un an à ce qu’elle est aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a une dégradation à ce niveau-là. Les gens arrivaient malgré toutes les difficultés quotidiennes à essayer de survivre. Aujourd’hui, beaucoup n’arrivent plus à vivoter. Et ça pose problème.

Mardi, les députés ont émis un vote négatif par rapport à la prise en considération du projet de révision de la Constitution. Faites-vous un lien  entre  ce vote et les nombreuses déceptions ?

C’est un peu classique d’avoir une majorité large au début. Il se fait que nos différents Chefs d’Etat n’arrivent pas à gérer leur majorité. Le président avait une majorité large qui passait pour être la plus sûre parce qu’il incarne les pouvoirs financier et politique. Et pourtant ça n’a pas suffi. Je vois plusieurs facteurs. Déjà, la majorité du président s’est effritée. Au niveau du gouvernement, on comprend qu’il n’y avait pas consensus sur le projet de révision de la Constitution tant dans la forme que dans le fond. La forme a aggravé les craintes que les gens avaient déjà par rapport au fond. Candide Azannaï en est la plus parfaite illustration. Je pense aussi que dans le déroulement de la plénière de ce mardi, il y a une chose qui nous aura tous trompés, les personnes qui étaient contre le projet pour la plupart ne se sont pas exprimées. On les a découvertes au moment du vote. Il y en avait 22. On avait une minorité de blocage qui était silencieuse. Le président Talon a commencé à payer hier le coût politique d’un certain nombre de décisions qu’il avait prises depuis qu’il est président de la République. Des décisions liées à ses alliances politiques, des questions liées à la gestion de ses partenaires politiques, les désaccords intervenus. L’autre facteur à souligner est que cette question n’est pas consensuelle tant dans la forme que dans le fond. Je crois également qu’il s’est organisé une résistance dans le pays. C’est évident que la plupart des gens n’en voulaient pas. Tout le monde était d’accord sur la révision. Mais les conditions  n’étaient pas réunies. Au niveau du Parlement, il s’est organisé une résistance sérieuse. Et c’est quand même bon pour la démocratie. Les raisons qui les ont poussés à la faire sont certainement de divers ordres. Depuis ce mardi, on a noté un  certain soulagement dans le pays. Il y avait une tension réelle au moment du vote. Même les partisans du projet paraissent soulagés.

La gouvernance politique n’a-t-elle donc rien de positif sous la Rupture ?

Je n’ai jamais été dans le tout négatif. J’essaie d’être objectif même si j’ai quelques difficultés à trouver des choses à l’actif du gouvernement. Non, il y a eu de bonnes choses. Quand on faisait le bilan des 100 jours, j’espérais avoir de bons éléments au bout d’un an. Je suis bien en peine de trouver des éléments dans le fond. J’ai déjà parlé des nouvelles préfectures. Même au niveau des préfectures a-t-on déjà du concret?  J’ai écouté des auditeurs se demander : si tout le bilan du chef de l’Etat devrait se faire aujourd’hui, citerait-on seulement les déguerpissements des domaines publics et la lutte contre les faux médicaments ? Je ne dirais pas ça. C’est vrai que dans le fond, j’espère pour mon pays que dans un an je serai en mesure de dire beaucoup de choses. Sinon, aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de choses qui aient changé. La sobriété de l’Etat est un élément positif. Et je l’apprécie. Par contre il y a de grosses préoccupations par rapport aux libertés. Je pense qu’on a reculé sur ce point. Même au niveau de l’audiovisuel public, la situation n’est pas meilleure au niveau de certains organes. Sur certains points, on est parti d’une situation qui n’était point enviable à une situation  qui est pire. Malheureusement, ce n’est pas qu’une anecdote. Car dans le projet de révision de la Constitution rejeté, on tentait même de constitutionnaliser l’interdiction de manifester déjà décriée. Il faut vraiment que la démocratie ne soit pas  que dans les discours. Il faut qu’elle soit dans les faits.

Avant les 12 prochains mois, s’il vous était permis de conseiller le Chef de l’Etat, que lui diriez-vous ?

Je n’ai pas cette prétention. Le président, j’imagine, est bien entouré. Mais je peux dire que lorsque quelqu’un a de telles charges, il pourra difficilement inverser la tendance s’il ne fait pas preuve d’humilité. Il faut avoir une grande capacité d’écoute. Il faut être capable de se remettre en cause. Je pense qu’avec tout cela, il faut mettre véritablement l’intérêt général au centre des politiques publiques. Il ne faut plus qu’on ait cette impression malheureuse que les intérêts qu’on sert, n’ont pas de lien avec ceux des populations.

Interview réalisée par Allégresse SASSE


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